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Catherine Meuwese
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VIVRE AU QUOTIDIEN

VIVRE  AU QUOTIDIEN

 

Pékin est à la latitude de Madrid donc il faisait nuit assez vite le soir mais il subissait en même temps le climat continental, très proche de celui qu’on trouve en Sibérie, c’est à dire très froid en hiver et très chaud en été. Conscients que nous n’étions peut-être pas assez bien équipés pour affronter l’hiver aux températures  bien en dessous de zéro, Sun nous emmena au Bai huo dalou, c’est à dire à l’unique grand magasin de Pékin (dalou signifie bâtiment et bai huo signifie cent articles) au rayon habillement où l’on faisait des veste ouatées sur mesure, avec un  col à la Mao et boutonnéesdevant [1].

 

Pour la première fois un Chinois effleura ma poitrine puisqu’il fallait qu’il prenne mes mesures. Comme je savais que ma poitrine était plus forte que celle des Chinoises et même légèrement arrogante, j’étais un peu gênée pour lui mais il le fit avec beaucoup de professionnalisme. Je fus la seule à ne pas choisir un tissu bleu de la couleur des bleus de chauffe que revêtent tous les ouvriers en Occident et l’ensemble du peuple chinois. Pourtant j’aurais dû, car le bleu en question était finalement d’un joli bleu-roi assez lumineux.  Je me dirigeais parmi les échantillons proposés vers un gris perle qui tirait vers le bleu-ciel. Jusqu'à maintenant, je peux dire en toute franchise que je n’avais pas voulu spécialement me distinguer des autres  mais j'étais attirée par cette couleur. Elle était probablement de la couleur de mon âme.

 

 J’allais donc en cours en veste Mao et petit à petit, je me moulais dans une nouvelle vie.
Le matin, nous étions réveillés à 6h30 au son du haut-parleur qui diffusait des slogans, puis nous étions censés aller faire notre gymnastique et aller au réfectoire prendre le petit déjeuner. Nous avions le choix entre le riz gluant et des légumes marinés ou un petit déjeuner à l’occidentale avec des tranches de pain de mie que l’on payait à l’unité et des dés de beurre que l’on payait morceau par morceau et très cher. On pouvait avoir aussi de la confiture de prune assez compacte. La boisson proposée était du thé vert ou noir [2].  Très vite, je compris que je pouvais m’arranger autrement. Je ne sais pas comment ma mère  se rendit compte que mes petits déjeuners pouvaient s’améliorer mais elle eut l’idée de m’envoyer du beurre en conserve par le train, ainsi que du nescafé. Quand elle m’annonça la nouvelle, j’eus quand même un peu peur pour la préservation du beurre mais me dis qu’il allait traverser la Sibérie glaciale et qu’il ne tournerait pas. Je le reçus effectivement un mois plus tard et constatai sa qualité de fraîcheur. Elle m’envoya aussi pour décorer ma chambre qui était pire qu’une cellule de moine (dois-je ajouter en raison du désinfectant répandu quelques temps avant notre arrivée et dont l’odeur me rendit malade toute une nuit - il faut dire qu’auparavant j’avais bu, lors d’une réception à l’Ambassade de France en Chine en l’honneur des étudiants-boursiers une coupe de champagne et cela ne m'avait pas réussi), un couvre-lit en toile de jouy représentant des scènes bucoliques. J’aurais aimé un autre couvre-lit¸plus coloré mais ma mère avait  choisi celui-là et puisque que tout ce qu’elle faisait était bien, je ne fus pas longtemps contrariée. Je cherchais à ne pas être emprisonnée entre quatre murs et je voulais que cette chambre exposée au Nord et extrêmement rudimentaire me permette de m’évader en pensée. Une petite carte de la Chine administrative posée à plat sur ma table de travail et protégée par un plastique, une grande carte de Chine représentant le relief punaisée au mur, pouvaient me permettre de le faire. L’été avant de rentrer en France, je devais passer par Hong Kong, autrefois petit port de pêche mais que les Anglais, au titre desquels était mon grand père, né à Londres et très "british" l'avaient  transformée en citadelle d'avant-garde avec des grattes-ciel bien avant l'heure. Cette ville me fascinait parce que le cocktail de deux cultures, la britannique et la chinoise devait donner quelque chose d'unique. Si la pauvreté y régnait dans les endroits qui cotoyaient les quartiers résidentiels où les royles-roy  avec chauffeur, comme des seigneurines, se faisaient ouvrir automatiquement  les portes à deux battants des propriétés avec piscine et gazon d'émeraude entretenu par un arrosage automatique,  les couleurs étaient d’une richesses exaltante : tout d’abord toutes les enseignes, fluorescentes la nuit, le cadre naturel avec les collines couleur d’onyx si on les regardait à contre-jour  se dressant dans un mer couleur de jade, ponctuées par les voiles jaune-ambré des jonques. De ma petite chambre d'étudiante à Pékin (ou plus exactement de mon dortoir), Hong Kong  semblait me promettre  un amoncellement de surprises et de découvertes. Mais plus que le clinquant, l'authentique à travers le mode de vie de la population autochtone m'attirait et  je rêvais de découvrir le village de bateau réfugié dans le port d’Aberdeen en compagnie de celui que j’avais laissé à Paris et qui faisait son service militaire. D’ici là il en serait dégagé et viendrait me rejoindre en pays libre, auquel on avait accès avec un visa aussi peu compliqué que pour se rendre en Angleterre.  Voilà à quoi je rêvais pour me distraire un peu de mes contraintes d'étudiante : nous devions savoir lire et écrire une quarantaine de caractères par jour et être en mesure de restituer, à l'écrit comme à l'oral les textes étudiés en classe. Je sais qu’au delà de neuf heures du soir, je commençais à somnoler et j’enviais certaines étudiantes qui commençaient par se recevoir les unes les autres dans leurs chambres, racontaient leur journée et se mettaient seulement au travail à neuf heures du soir.

 

 Nous étions déjà au mois de novembre et, il ne restait strictement plus rien de la végétation. Les seuls fruits sur lesquels on pouvait compter étaient les pommes et les kakis.  Ceux- ci étaient en vente dans les petites coopératives aux abords de l’école. Je les achetais pour deux raisons, d’abord parce que j’adorais leur  chair juteuse et pulpeuse (bien qu’ils fussent un peu chers pour  ma bourse d’étudiante de 240 francs par mois (  yuan  ) car je voulais  économiser pour acheter des petites choses qui me plaisaient comme des ombres chinoises, des papiers découpés, des livres et en plus je projetais de m'acheter un rouleau de peinture) et aussi parce qu’ils me rappelaient aussi les goûts un peu exotiques que me faisait partager ma mère qui avait  vécu en Crimée, dans le Caucase et en Italie et qui  ne manquait pas d'en acheter si elle en voyait sur le marché parisien. Les pommes que j’achetais également avait  un goût succulent, elles étaient juteuses et sucrées et me rappelaient celles que je mangeais, toute petite, dans les années 50.

 Autant dire que je  m’offrais là quelque petit luxe tous les matins à la récréation car je ne manquais pas non plus d'acheter un petit sablé aux noix que je croquais en alternance avec une pomme.

Si les pommes avaient été conservées depuis l’automne, il ne pouvait en être de même des kakis qui devaient être consommés le moins longtemps possible après avoir été cueillis.

C'est en allant à la Grande muraille que  je compris d’où ils venaient et pourquoi il y en avait tant dans les coopératives de Pékin.  Ils venaient des abords de la Grande muraille mais il y en avait aussi  dans le grand espace que s’étaient attribués pour leur dernière demeure  les Empereurs Ming  et qui se trouvait dans la même  direction que la Grande muraille. Alors  que nous étions entourés de tumulus et de tombeaux, les kakis accrochés par un fil à leurs branches dénudées, projetaient leur couleur orangée  éclatante sur fond de ciel bleu, et accrochaient mon regard plus que ne pouvaient le faire ces tumulus abritant  les tombes, de couleur terne. Ces kakis s’offraient là comme le sourire de l’histoire. Ils représentaient la vie, la sève, la source et étaient  prêts  à fondre sous le palais et à rappeler en pensée de doux souvenirs, celui de la découverte du fruit lorsque je n’étais encore qu’une enfant.. En résumé, en hiver, Pékin n'offrait à ses habitants, que deux sortes de fruits, c'est-à-dire ceux qui ne nécessitaient qu'un minimum de transport. On ne trouvait comme sur les étals ni orange, ni mandarine ni banane…

 Nous n'étions pas à plaindre car les étudiants chinois que nous côtoyons ne s'achetaient guère de fruits. D'ailleurs ils avaient un réfectoire à part, et dans leur réfectoire, il n'y avait ni table ni chaise. Ils mangeaent  debout et avalaient un bol de riz avec juste quelques légumes et des rezats de viande. A l'époque, il a été dit que les Chinois ne mangeaient que 14 grammes de proétine animale par jour en moyenne. Les étudiants étrangers pouvaient choisir des plats qui se rassemblaient tous et qui étaient des formes variées de ragoût, Le riz était toujours présent. Il était facile de se lasser de cette nourriture mais il était possible de se rattraper sur d'excellents yaourts fabriqués très artisanalement. Pékin reste encore où on peut déguster dans la rue d'excellents yaourts très désaltérants. Mais à la fin de mon séjour, je n'arrivais plus manger les plats proposés nageant souvent dans de la graisse de porc ou de canard. Alors je me contentais d'un bol de riz et d'une compote de pomme. Et si l'occasion se présentait, je n'hésitais pas à aller au restaurant en ville, toujours en bonne compagnie. Là, je me régalais. Une fois, je suis même allee dans un restaurant russe, car l'époque où il y avait encore des techniciens  soviétiques en Chine n'était pas si loin. On pouvait croiser dans la rue des femmes parlant russe et si elles étaient encore en Chine, alors que la rupture sino soviétique datait de 1960, c'est qu'elles étaient mariées avec des Chinois. Una autre fois, je suis allée déguster une marmite mongole, dans un restaurant fort embué. Et bien sûr, je n'ai pas attendu longtemps avant de connaître la chair délicieuse d'un canard laqué. Je pouvais donc accepter les plats proposés du réfectoire qui étaient vraiment insipides.

 



[1] Ce style vestimentaire avait été adopté à l'origine par Sun Yatsen, le fondateur de la République de Chine en 1912

 [2] Les Chinois appellent thé rouge notre thé noir

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