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Catherine Meuwese
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LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES PREMIERS ENSEIGNANTS EN CHINOIS

 

Au cours de ma carrière, j'ai pu suivre l'évolution de l'enseignement du chinois en France depuis ses débuts.

 Enseigné dès 1958 au Lycée de Montgeron dans le cadre d'un club, puis dans le cadre d'une option facultative, puis comme LVIII (en 1972 ou 73)  puis comme LVII (en 1976) et finalement comme LVI, le chinois a été représenté normalement au fil du temps  aux épreuves écrites et orale du baccalauréat et aux concours d'entrée des grandes écoles. J'ai assisté aussi à l'amélioration du statut des enseignants. Simples vacataires, payés tout au début sur un budget de surveillance de cantine, puis maîtres-auxiliaires, ils n'ont pu être titularisés qu'en en 1966 et 1967, puis  après une interruption de huit ans, de manière continue à partir de 1974. Il arrivait qu'un seul poste de capes-ien soit offert au concours. Quand à l'agrégation de chinois, elle ne fut effective qu'à partir de 1999. 

 Mais il fallait y croire. Malgré les années de la Révolution culturelle  qui mit un certain voile sur les études de chinois (il fut impossible d'aller étudier en Chine –  le premier échange de boursiers ne reprit qu'en 1973), malgré les restrictions budgétaires du Ministère de l'Education nationale où régulièrement des heures d'enseignement étaient supprimées, que ce soit des charges de cours en fac ou des heures supplémentaires dans le Secondaire.  Le prétexte fut  par exemple dans mon cas, que je ne regroupais pas assez d'élèves. C'est en effet seulement une fois que j'eus pris ma retraite que le spectre de la Chine en tant que grande puissance économique mondiale se dressa face à la conscience collective et que les effectifs des inscrits dans le secondaire s'accrurent considérablement.

 La désaffectation des élèves se fit particulièrement sentir juste après les avènements de  Tian'an men en 1989.  D'habitude les effectifs de mes élèves allaient en augmentant, surtout après leur voyage  en Chine en 1985 où ils furent invités par le Ministère de l'Education chinois mais à partir de la rentrée 1989, il y eut une dimunition significative des inscrits. Le jeu des sections, suivant que les élèves étaient en classe scientifique, technique ou littéraire  compliquait aussi  la poursuite des études en chinois au delà de la classe de Seconde. Les emplois du temps rencontraient des incompatibilités.  Je jetterais aussi la lumière sur la tendance des chefs d'établissement à se faire bien voir de leur recteur s'ils supprimaient les classes à effectif réduit.  J'ai vu le russe LVIII être supprimé, le grec et certaines  disciplines dites de spécialité comme la musique l'être également. Mais je résistais à cette menace et  faisais signer des pétitions. Une certaine année  où le chinois LVII était d'autant plus menacé que j'étais à deux ans de ma retraite, le proviseur de l'époque décida de ne plus aménager  de classe montante et supprima les cours de chinois  dès la 4è. Je trouvais le procédé absurde et rétrograde. A la place d'un soutien de la part du proviseur, j'eus presque un désaveu, probablement par ignorance de la potentialité de la Chine, grande civilisation, et grande puissance économique en voie de devenir la première du monde. Il est vrai que le proviseur était latiniste. Je connus aussi d'autres proviseurs avec des propos insensés sur le bien-fondé de l'enseignement du chinois que je ne pourrais jamais oublier.

Cette année là, pour que le chinois LVII ne soit pas supprimé, je rédigeai donc une pétition et  récoltais plus de  600 signatures en quatre jours. Mais je reçus aussi le soutien de François Cheng de l'Académie française  qui écrivit au Recteur, au Ministre de l'Education nationale, à la présidence de la République et au proviseur du Lycée.  Mis à part qu'il estimait que  supprimer une partie de l'enseignement du chinois dans un établissement qui l'avait vu naître relevait presque de la barbarie (bien qu'il n'exprima pas son désappointement en ces termes dans ses lettres), il semblerait qu'il ait été très ému par la manière dont je lui présentais  les choses. Car en supprimant la LVII et en ne se rendant pas compte de tout le combat que j'avais livré pour le maintien de cet enseignement au cours de ma carrière, le proviseur de l'époque touchait à une corde très sensible de ma personne.

  Voici donc le texte de la pétition que j'ai fait signer pour que le chinois LVII ne soit pas supprimé. Nous étions en 2004, à deux ans de ma retraite :

NON  à la suppression du chinois LVII au Lycée de Montgeron et du chinois facultatif pour les filières scientifiques et techniques !

 Les élèves de chinois du Lycée de Montgeron, leurs parents et des personnes sympathisantes s’insurgent contre la suppression récente du chinois LVII et LVIII facultatif destiné aux filières scientifiques et techniques.

Cela signifie aussi qu’à long terme le chinois LVIII réservé uniquement aux classes littéraires sera également supprimé.

Face à la croissance économique fulgurante de la Chine, la France a désormais besoin de scientifiques, de techniciens sachant parler et lire des informations en chinois ainsi que  de spécialistes de la langue et de la culture chinoises.

 Une cinquantaine d’élèves  des classes de Cinquième du collège Weiler dépendant du lycée de Montgeron comptaient s’inscrire en chinois  LVII à la rentrée 2004. Leur projet est refusé.

 Nous avons du mal à croire qu’un pays comme la France puisse ne pas tenir compte des aspirations de sa jeunesse qui, pour finir, a l’intention de travailler au service de la France dans ses relations futures avec la Chine.

 C’est pourquoi, d’un commun accord, nous signons cette pétition qui vise à rétablir le chinois LVII et facultatif au Lycée de Montgeron.

 

         Nom, prénom                                                                qualité

  

Voici la copie de la lettre que j'adressais au Proviseur  datée eu 9 mai 2004 :

  Madame le Proviseur,

La pétition est partie de tous les horizons, lycéens,  parents d’élèves, enseignants aussi bien de Montgeron que d’ ailleurs, travailleurs.  

Seuls mes collègues de chinois répartis à travers la France entière (une centaine d’établissements) n’ont pu la signer car il n’était pas possible de les joindre mais ils l’auraient fait de toute évidence.

C’est pourquoi nous n’avons pas pris le temps, vu l’urgence de la situation, de la livrer à votre connaissance et nous ne pensions pas avoir à le faire.

Cette pétition qui répond à une réaction spontanée de la part de tous a été signée en quatre jours et comporte 616 signatures. Elle aurait pu en avoir une centaine d’autres au minimum.

Même en ce moment où je vous écris cette lettre, les élèves que je côtoie  au CDI m’assurent de leur soutien et de leur détermination.

 Au cours de ces derniers temps, cela ne nous a pas empêchés de comprendre votre souci concernant la DGH mais  j’aurais aimé quelque concertation afin d’envisager de  donner encore un an une chance au chinois. L’allemand a lui aussi des effectifs très réduits (avec aucun inscrit en 4e  LVII en 2002) et n’a pas été l’objet d’une cible aussi drastique qu’en chinois. Encore une fois j’aurais aimé avoir une possibilité de m’exprimer. Le chinois était déjà bien amputé de ses heures… Il méritait tout au contraire que la situation soit inversée avec l’émergence de la Chine puisqu’enfin une nouvelle page est tournée avec la montée des effectifs d’une manière générale.

 Vous trouverez donc pour information le double du dossier envoyé à Monsieur le Recteur.

Veuillez agréer l’expression de mon dévouement à la cause de mes élèves et de l’enseignement du chinois ainsi que  mes respectueux sentiments pour la tâche très difficile que vous exercez.

                                                                               Catherine Meuwese

 

Ci-dessous  la lettre adressée au Recteur de l'Académie de Versailles, en date du  mai 2004 écrite et signée par François Cheng :

Monsieur le Recteur,

 

 J’ai l’honneur de m’adresser à vous au sujet de la suppression du chinois LV2 au

Lycée de Montgeron. Cette suppression, inattendue, a bouleversé non seulement le professeur titulaire, en poste au Lycée depuis plus de trente ans -- qui, n’ayant pas été consultée, a appris la nouvelle par simple circulaire --, mais l’ensemble des enseignants de chinois en France. Je me permets de me faire l’interprète de leur vive émotion auprès de vous, et de vous en présenter les raisons.

  Le  lycée  de Montgeron  est  le  symbole  même  de  l’enseignement  du  chinois. C’est en effet lui qui, en tant que lycée pilote à l’époque, créa en 1958 le premier cours de chinois au niveau  secondaire en France, un évènement historique qui eut un retentissement jusqu’en Chine. Depuis lors, des personnalités chinoises de haut rang, de passage en France, ont tenu à visiter le lycée ; et, fidèle à une convention exceptionnelle, le gouvernement chinois délègue régulièrement un assistant au lycée pour participer à l’enseignement. Ces cours de chinois demeurent désormais la référence pour tous les autres cours qui se sont créés successivement ailleurs.

 

  Nous comprenons et partageons le souci du Ministère de prendre en compte la conjoncture budgétaire actuelle. Si plusieurs grandes langues connaissent une notable baisse d’effectifs, ce n’est pas le cas du chinois, lequel, depuis peu, connaît au contraire une progression record en nombre d’élèves. L’émergence de la Chine, combinée avec l’Année de la Chine qui se déroule en ce moment, a fait prendre conscience aux parents d’élèves et aux élèves mêmes de toutes les perspectives de carrière qui s’ouvrent, cela dans des domaines très variés : économie et commerce, science et technologie, médecine et pharmacopée, architecture et urbanisme, diplomatie, droit, journalisme, tourisme, etc.  Dans ce contexte d’un mouvement ascendant – la rentrée prochaine coïncidera avec le lancement de l’année de la France en Chine et la visite officielle du Président de la République en Chine au mois d’octobre --, le chinois dont l’agrégation fut établie dernièrement, est appelé à devenir l’une des plus importantes langues à apprendre pour les décennies à venir. Beaucoup d’académies procèdent à la création de cours favorisant l’enseignement de cette langue, et à des transformations de chinois LV3 en chinois LV2.

  Pour ce qui est du lycée de Montgeron, les deux raisons de la suppression invoquées par la circulaire sont les suivantes : une classe de 4e n’a pas été ouverte l’année précédente faute d’effectifs suffisants ; la suppression du chinois « permet de sauvegarder les heures de musique ». Tandis que la seconde raison peut surprendre, la première, fondée certes sur un fait avéré, ne semble pas avoir tenu compte de la situation nouvelle. Car peu de temps avant les vacances de Pâques, avec l’accord de la Principale, un sondage a été effectué par le professeur dans les quatre classes de 5; dans chaque classe, une bonne moitié des élèves ont signifié leur intention de s’inscrire en chinois. Il y a tout lieu de penser qu’un groupe tout à fait suffisant peut être constitué pour  ouvrir une classe de 4e. Il serait vraiment regrettable, en tout cas, que le Lycée de Montgeron, seul établissement dans le département de l’Essonne à enseigner le chinois, ne puisse offrir à ses jeunes à vocations multiples ces possibilités d’ouverture et de débouchés.

 Le souhait de l’ensemble de la sinologie française est au demeurant simple et modeste : qu’un délai d’essai d’un ou deux ans soit accordé à cette implantation historique, afin que les faits objectifs puissent faire la preuve que le chinois LV2 se situe bien dans la voie de l’avenir.

 En vous remerciant sincèrement de votre bienveillante attention, je vous prie de croire, Monsieur le Recteur, à l’assurance de mes sentiments de profond respect et de haute considération.

                                                                                  François Cheng

                                                                                  de l’Académie française

La même lettre fut envoyée au ministre de l'Education nationale, en date du 5 mai 2004.En dehors de sa signature, François Cheng ajouta "Membre de l'Académie française"  et "Membre du haut conseil à l'intégration"

Et enfin, voici la lettre qu'il adressa au Proviseur du Lycée dès le 8 mars 2004, car en fait la politique discriminatoire de celle-ci (c'était une femme) vis-à-vis de l'enseignement du chinois avait commencé par une prise de position non fondée à mon encontre pour un problème de discipline. Elle s'était fiée aux dires des élèves et surtout de leurs parents. Elle apprenait peu de temps après que j'étais nommée agrégée. Elle aurait pu se demander  pourquoi j'étais finalement appréciée par mes pairs. Un jour je l'entendis dire que c'était difficile de faire plaisir à son recteur. Sans doute que  supprimer  des heures d'enseignement lui valait une promotion.

 Madame le Proviseur,

J'ai l'honneur de m'adresse à vous et je le fais avec une profonde émotion, car aucune personne intéressée par la langue et la culture chinoises ne saurait rester indifférente à la pensée du Lycée de Montgeron. Celui-ci en tant que lycée pilote, créa, il y a bientôt 50 ans le premier cours de chinois dans l'enseignement secondaire. C'est le début d'une grande aventure qui a permis ensuite la création du CAPES de chinois et plus récemment, celle de l'agrégation de cette même langue.

Toute la sinologie sait gré  à Madame Catherine Meuwese d'avoir repris le flambeau de ce cours et de rester fidèle au poste, cela depuis plus de 30 ans. Par sa personnalité faite d'élévation d'esprit et de générosité naturelle, elle est estimée de tous ses collègues.Lles matériaux pour l'apprentissage du chinois qu'elle a patiemment conçus et rédigés font autorité. C'est à elle que pour la première fois dans l'histoire de la sinologie le titre d'agrégé par liste d'aptitude vient d'être décerné.

Elle se consacre à la tâche avec dévouement et croit en la formation des jeunes à travers l'enseignement du chinois. Pour cette raison, elle s'efforce de maintenir une certaine exigence éthique dans leur intérêt. Par suite d'une mesure de discipline minimale qu'elle a voulu faire appliquer à quelques élèves d'une classe qui ont triché lors de  contrôles -- alors que les autres classes ne posent aucun problème – elle rencontre des difficultés inattendues et injustifiées. Etant mis au courant de cet état de fait, je suis témoin d'une souffrance. Mais je suis sure qu'elle trouvera auprès de vous compréhension et appréciation de sa juste valeur.

                             

En vous remerciant à l'avance de votre bienveillante attention, je vous prie de croire, Madame le Proviseur, à l'assurance de mes sentiments de respect et d'admiration pour la noble tâche que vous accomplissez.

                                                                                             François Cheng

                                                                                            de l'Académie française

En Juin 2004, le proviseur en question devait quitter le lycée. Je ne savais toujours pas si le  chinois en classe de 4e allait être supprimé. Cela ne changeait rien  à mes heures d'enseignement puisqu'en devenant agrégée, j'étais délestée de 3 heures et ces 3 heures correspondaient bien aux heures que j'aurais dû dispensée en 4e. Mais elle n'avait pas été mise au courant de ma promotion et ne s'était pas rendue compte que cela ne changeait rien pour moi, en dehors de la déceptions de voir les valeurs de l'enseignement du chinois si peu considérées.

Le 19 juillet je lui écrivais une lettre avec pour objet : "bilan de l'enseignement du chinois et perspectives d'avenir " et mettais au point mon argumentation pour la défense du chinois

Madame le Proviseur

Le maintien ou la suppression d'un enseignement ne devrait pas être le fait d'effectifs ou d'une situation ponctuelle, peut-être accidentelle, voire même budgétaire. C'est la discipline qui doit être considérée. Est-elle formatrice et enrichissante ? Est-elle le gage d 'une réussite professionnelle ? Pour que celui-ci soit effectif et efficace, il a toujours été de mise, depuis la création de l'enseignement du chinois, de constituer une pépinière d'élèves pour accroître les chances d'avoir un bon noyau d'élèves sérieux et travailleurs qui entraîneraient les autres vers le haut. Sachant cela, je m'efforce chaque année de faire de la publicité, d'une manière ou d'une autre. Enfin, l'année 2004, à la croisée des chemins des années France-Chine et face à l'envolée économique de l'Asie, devait voir ressemblée en 4e une bonne quinzaine d'élèves… Ces élèves existent pourtant, j'en suis persuadée, mais finira-t-on par les trouver, eux qui sont allés s'inscrire ailleurs, étant persuadés que le chinois n'était plus enseigné au collège ? Sans compter ceux qui seraient venus de l'extérieur? Mais nous sommes en période de vacances et les réactions sont lentes. L'inspecteur d'Académie est pourtant prêt à trouver une ligne budgétaire…

 Le chinois LVII ne fut pas rétabli à la rentrée scolaire 2004 mais  un an plus tard, le temps que le nouveau proviseur change le cours des choses. Il  réserva un accueil très favorable à la poursuite de l'enseignement de la LVII, intervint lors d'une réunion d'information aux parents désirant s'enquérir de la possibilité d'inscrire leur enfant en chinois en 4e. Et contrairement à ses prédécesseurs, il accepta  que j'emmène les élèves en Chine. Le voyage eut lieu en avril 2005. L'année suivante, grâce à son soutien  le Lycée accueillit une douzaine de lycéens chinois. La rencontre avec les élèves de chinois du Lycée de Montgeron fut mémorable. En 2006, je prenais ma retraite.

 

 

 

 

 

 

 

 

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