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Catherine Meuwese
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ENTRE FRANÇAIS EN CHINE

ENTRE FRANÇAIS EN CHINE

 

L’Ambassade de France ne nous abandonnait pas et Marcel Girard, conseiller culturels’était mis à notre disposition pour nous faire un peu profiter de certains services ou de sa présence tout simplement. Il y avait dans notre groupe d’étudiants boursier Michèle t’Serstevens   qui était l’un des conservateurs du Musée Guimet ; je ne sais pas comment elle avait appris que la France et la Chine avaient établi des accords diplomatiques et culturels avec échange de boursiers à la clé mais elle s’était jointe à notre groupe et était redevenue étudiante. C' était une jeune femme d’environ trente ans  très féminine et très belle qui connaissait parfaitement son sujet, l’art chinois et elle savait parfaitement ce qu’il fallait voir à Pékin en dehors des endroits emblématiques comme la Cité interdite ou le Palais d’été. Monsieur Girard savait qu’il pouvait compter sur ses conseils et de son côté elle faisait profiter de son savoir trois d’entre nous : Françoise Ohl, qui suivit son chemin en se spécialisant dans l’art mais qui mourut trop tôt d’un cancer alors qu’elle était la mère de deux toutes petites filles et Marie Mathelin, fille d’artiste-peintre, décédée aussi d'un cancer à l'heure où ces lignes sont écrites  et moi. Sans le savoir nous avions déjà tissé des liens avant même de nous  connaître. Marcel Girard, autrefois  Conseiller culturel aux Pays-bas avait inauguré  une dizaine d’années auparavant, l’école de couture française que mon père, le couturier Charles Montaigne, avait créée à Amsterdam et se souvenait parfaitement de lui. Le père de Michèle Pirazzoli-t'Sertevens, connu également sous le nom de Lucien François, avait des talents multiples et était critique de mode. Il avait fait des articles dans la presse sur mon père. Marie Mathelin dont la mère travaillait comme vendeuse chez le grand couturier Pierre Balmain connaissait très bien la comtesse Solughub qui travaillait également comme vendeuse chez Balmain et qui en tant qu’émigrée russe s’était liée d’amitié avec ma mère, et elles deux avaient connu la révolution et l’exil.  Quant à Françoise Ohl, elle était également étudiante de russe et s’était inscrite en même temps que moi. Elle habitait à La Varenne au bord de la Marne, un endroit fréquenté par mon père avant la deuxième guerre mondiale car il était un féru d’aviron. Par étonnant que l’endroit ne lui déplaisait pas et que lorsque ma famille chercha  plus ou moins à déménager, nous visitâmes une maison à  La Varenne. Mais que vis-je lorsque je passai ma tête par dessus le muret de la maison que nous visitions ? Françoise Ohl ! Nous trouvâmes la situation cocasse. Mais l’affaire ne se conclût pas et je ne fus jamais sa voisine. Je devais la retrouver mais de manière virtuelle quarante ans plus tard car entre temps elle nous avait quittés. Je passais une échographie et me faisais contrôlée par une jeune femme dynamique qui me mit totalement en confiance. Je ne sais pas comment la conversation en vint là et je réalisais qu'elle était la fille de Françoise. Elle me demanda si elle lui ressemblait et je lui répondis que oui. Au fond de moi, je me disais exagérer un peu car elle ne lui ressemblait pas à 100%  mais maintenant où j’écris ces lignes je comprends mon « oui ». Je voulais me reporter quarante en arrière et même sa ressemblance approximative avec sa mère arrivait à tisser un lien profond avec mon passé. J'ai toujours aimé me remémorer mon années d'études à Pékin.

 

Cette jeune femme était empreinte d’une nostalgie immense ; j’essayai de lui raconter le plus de choses possibles sur notre séjour commun, à sa mère et à moi-même, en Chine alors que, toute professionnelle qu’elle était, elle suivait bien du regard l’écran pour voir s’il n’y avait pas quelque anomalie. Mais elle m’écoutait,  non pas son troisième œil mais avec sa troisième oreille. J’aurais voulu être une fée pour elle, lui faire revivre sa mère tout en douceur, la réconcilier peut-être avec la disparition de celle-ci alors qu'elle était si jeune, je ne voulais pas la décevoir. A l’issue de la séance, elle s’enquit de voir si son père, radiologue, n’était pas dans les parages. Je le reconnus de loin pour l’avoir déjà rencontré une fois. Ce que je lui évoquais par ma présence était si éloigné dans le temps, il y a quarante ans, alors que lui et  Françoise ne se connaissaient pas encore mais il s'était  remarié depuis...Mais une mère ne se remplace pas vraiment et elle, sa fille, vivait dans son souvenir ardent.

 

Nous étions donc assis autour d’une table ronde dans un restaurant où Marcel Girard nous avaient invitées toutes les quatre. Nous étions plus particulièrement dans un petit salon à part du restaurant car les étrangers ne  pouvaient être servis en même temps que les Chinois. Je ne sais pas si nous jouissions particulièrement de cette situation mais une chose est certaine, nous étions privilégiés car on nous servait de très bons plats. Même les œufs de cent ans que certains occidentaux ne supportent même pas en image avaient une saveur délicieuse et parfumée.  Ils fondaient dans la bouche [1]. De toutes façons, il était hors de question que les responsables du restaurant (il ne pouvait y avoir de "patrons" sous le régime communiste  ni même de "gérant") nous mêle au reste des clients. Ils se seraient fait punir par un responsable plus élevé. Et puis ce jour là, je  ne sais pas si j’étais tenaillée par la faim ou pas, mais je restais plutôt à l’écart dans la conversation, laissant finalement le champ libre à Marie Mathelin, étudiante intelligente et cultivée. Nous étions donc à l’autre bout du monde et tous liés par un point commun. Nous étions, avec Marcel Girard comme les branches d’une étoile, mais allait-elle briller dans le firmament ou être absorbée par un trou noir ?  Depuis nous ne nous sommes vraiment pas beaucoup revues, jamais pour ainsi dire. Etait-ce par respect des unes  envers les autres et vis à vis de la communauté des étudiants boursiers que nous ne voulions pas rester collées les unes aux autres ? Je pense encore aujourd’hui à la petite fête que Michèle Pirazzoli– t'Serstevens organisa pour mon anniversaire. J'atteignais mes 23 ans. Il  lui restait encore une petite bouteille de champagne et une petite boîte de caviar soit achetées dans le Tupolev soit offertes par la compagnie (mais je dirais plutôt achetées). Monsieur Girard n’était pas avec nous, cela s’entend puisque nous étions un jour de semaine et nous partageâmes  le champagne et le caviar. Je fus profondément touchée.

 

 



[1] Les oeufs de cent ans ont séjourné une centaine de jours dansun mélange de boue riche en chaux, de paddy (riz non décortiqué), de cendre, de sel et de feuilles de thé. Le jaune d'œuf devient vert foncé et de texture crémeuse et  tandis que le blanc devient brun foncé et translucide comme une gelée

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